Lumière 2018 – Javier Bardem : “Il faut savoir s’oublier et se jeter à corps perdu dans la fiction”

November 30, 2019 Off By HotelSalesCareers

Invité du festival Lumière, le comédien espagnol Javier Bardem nous a parlé de ses touts premiers souvenirs de cinéma, d’Al Pacino, de ses débuts d’acteur devant la caméra de Bigas Luna et de rugby. Rencontre.

AlloCiné : Quel est votre tout premier souvenir de cinéma en tant que spectateur ?

Javier Bardem : C’était un film qui s’appelle All that jazz (Que le spectacle commence !), de Bob Fosse. J’étais très jeune, peut-être sept ans. Ma mère est actrice, elle allait partir en tournée avec une pièce de théâtre et elle voulait nous emmener, mon frère, ma soeur et moi, voir ce film. Elle nous a fait entrer discrètement dans la salle, car ce n’était pas pour les enfants. C’est un film extraordinaire sur un artiste, un chorégraphe, qui traverse les affres de la création jusqu’à ce qu’il meure, qu’il commette le sacrifice ultime, pour l’art. J’ai été scotché par ce film et j’ai adoré le voir avec ma mère, mon frère et ma soeur. 

Vous aimez danser ? 

J’aime beaucoup ça, mais ça ne veut pas dire que je danse bien ! Ce que j’aime, c’est la liberté dans le mouvement. En tant qu’acteur, on doit vraiment apprendre comment bouger, laisser parler son corps. C’est très différent de la chorégraphie : les danseurs passent des heures et des heures à répéter les enchaînements de pas. Moi, ce que je veux, c’est parvenir à bouger mon corps sans que rien ne soit calculé. 

Peu de bons danseurs peuvent se vanter d’être aussi rugbymen…

Non, la danse et le rugby, ça ne va pas très bien ensemble ! Du rugby, que j’ai pratiqué pendant quinze ans, j’ai appris énormément. Si je peux faire des films aujourd’hui, c’est parce que j’ai fait du rugby dès l’âge de neuf ans et que je sais comment faire partie d’une équipe. Le foot, c’est différent, c’est plutôt : “Hey, c’est moi, Ronaldo, et je marque des buts !” Sur le plateau, il m’est arrivé très rarement de rencontrer des divas – ou des divos ! – acteurs ou réalisateurs, et lorsqu’ils arrivent, ça détruit tout car toute l’attention se focalisent sur eux, et le processus de création, le travail réalisé ensemble pour atteindre un idéal, est brisé, parce qu’alors les gens ont peur. Cela ne rend service à personne. Dans le rugby, c’est pareil, il n’y a pas de place pour ça. 

Elle a enfilé sa robe, sa couronne, elle est montée sur scène et elle est devenue une reine

Lorsque vous étiez enfant, quels étaient les acteurs qui vous impressionnaient et vous inspiraient ?

Avant tout, ma mère. Je me rappelle, j’étais très jeune, je devais avoir cinq ans, elle jouait la reine Isabelle dans une pièce de théâtre. J’étais là le jour de la première et on était dans sa loge et elle vomissait à cause du trac. Je lui demandais si ça allait et elle me disait : “Oui, oui, ça va, ça va.” Elle a enfilé sa robe, sa couronne. J’étais dans les coulisses, elle est montée sur scène et elle est devenue une reine. J’étais fasciné : cinq minutes avant, elle vomissait, et là, c’était la reine ! Ce changement presque schizophénique m’a fait très forte impression. A ce moment, je ne saisissais pas vraiment, j’étais surtout inquiet et elle faisait en sorte de me rassurer, mais plus tard, quand j’ai compris, je me suis dit : “Ce métier est fou !” Tout le monde est confronté à l’angoisse, aux attentes, à la peur, mais là, il arrive un moment où tout ça s’évanouit et où on parvient à le surmonter, pour donner quelque chose à un public. C’est exceptionnel. 

Vous avez dit que vous ne croyiez pas en Dieu, mais en Al Pacino… Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Je crois en lui, en sa manière de jouer et d’aborder son travail d’acteur. J’ai eu la chance de le rencontrer quelques fois et de discuter avec lui. C’est un homme merveilleux, humble et généreux. Il a soixante-dix-neuf ans et il cherche toujours un moyen de s’améliorer, de trouver de nouveaux défis, d’apprendre encore. Et il ne fait pas semblant. Il a beau être Al Pacino, il a compris que le métier d’acteur était une découverte sans fin. 

Les gens ont parfois du mal à comprendre votre métier ? 

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Je n’attends pas des gens qu’ils comprennent, il y a des métiers beaucoup plus importants que le mien. Mon boulot, c’est de divertir et si je suis chanceux, de faire ressentir quelque chose aux gens, mais c’est vrai que quand les gens qui ont des métiers plus normaux prennent conscience du processus de création d’un film ou d’un personnage, ils sont souvent surpris de la quantité de travail, d’attention et de concentration et de recherche que ça représente. Ils pensent qu’on se contente d’être là et de dire le texte, mais c’est bien plus que ça. La plupart des acteurs que je connais sont des gens qui sont très attachés à l’idée d’aborder leurs rôles de la manière la plus honnête possible. Il faut savoir s’oublier et se jeter à corps perdu dans la fiction. 

Comment votre travail, à vos débuts, avec Bigas Luna et Pedro Almodóvar a changé votre vision du métier d’acteur ? 

Ils n’ont pas changé ma vision, ils m’ont donné la leur. Mon premier vrai film a été Les Vies de Loulou avec Bigas Luna, j’avais dix-neuf ans. Puis il y a eu Jamón, jamón, j’en avais vingt-et-un. C’était le premier film de Penélope, elle avait seize ans ! C’est un film qui ne pourrait pas être réalisé aujourd’hui, à cause de la manière qu’à le film d’exposer un certain nombre de choses. C’est un chef-d’oeuvre qui a une saveur incomparable et qui offre une approche de la culture espagnole dans les années 1990 vraiment unique en son genre. C’était nos premiers rôles et ça aurait pu être complètement différent avec un autre réalisateur. S’il avait été plus agressif, plus strict, on ne serait peut-être jamais devenus acteurs. On en a discuté, avec Penélope. Nous étions jeunes et très sensibles et ça aurait pu nous bloquer si on avait été entre de mauvaises mains, mais il était gentil, attentionné, il nous protégeait et nous donnait le temps dont on avait besoin et toute la confiance que nous, nous n’avions pas en nous-mêmes. Ca nous a donné l’envie de faire ce métier. 

Vous avez deux enfants, un garçon et une fille. Lorsqu’ils seront assez grand, comment leur expliquerez-vous le mouvement #MeToo ? 

Ma fille a cinq ans, mon garçon en a sept. J’ai l’espoir que lorsqu’ils seront assez grand, l’égalité aura gagné du terrain, mais pour commencer, ce que l’on fait, avec ma femme, c’est élever dans l’idée qu’ils ont les mêmes opportunités, les mêmes droits et les mêmes devoirs. En les regardant grandir, on comprend que c’est quelque chose qui relève de l’éducation. On naît égaux. C’est la société qui altère tout ça. Moi le premier, quand j’étais enfant, que ce soit avec mon père, mon entourage ou à l’école, les hommes devaient toujours être dans une situation de pouvoir par rapport aux femmes. C’était comme ça, il fallait l’accepter. Mais non, pourquoi ça devrait l’être ? J’ai été élevé par ma mère, car mes parents se sont séparés quand j’avais trois ans, et ça m’a beaucoup sensibilisé au pouvoir des femmes, parce que j’observais celui de ma propre mère, qui se battait pour ses enfants. J’ai un peu le problème inverse, je considère que les hommes sont vraiment le sexe faible et j’imagine qu’il faudrait que je renforce ma propre idée de ce qu’être un homme signifie, parce que j’ai toujours voué un culte à la femme qu’a été ma mère. 

Merci à Brieux Férot, avec qui cet entretien a été réalisé. 

No Country for Old Men – Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme Bande-annonce VO