Jean-Luc Delarue, pourquoi il détestait ses parents
Tandis que son père Jean-Claude ne perd plus une occasion de s’interroger sur le lieu de son enterrement et sa succession, entretenant la suspicion autour de sa veuve Anissa, il convient de revenir sur les relations compliquées entre l’animateur-producteur et ses parents. Histoire d’une rencontre qui semble ne s’être jamais faite…
Lorsque Simone de Beauvoir écrivait Mémoires d’une jeune fille rangée, le titre était ironique, l’écrivaine jetant en réalité sur le papier tout ce qui, entre son éducation et le détachement qu’elle en avait conçu, avait fini par forger son identité surgie de sa libération des modèles familiaux. Avant d’être celui que nous allions connaître dans sa brillance tapageuse, Jean-Luc Delarue, lui aussi, fut un jeune homme rangé.
Trop, sans doute. Seulement plus tard allait-il semer le désordre qui caractérisait son ascension vers la gloire, chevauchée fantastique bousculant par essence le terreau familial, quitte à l’amener à se perdre, faute de suivre une voie tracée. Et c’est à la lumière de cet arrachement douloureux au terne destin que ses parents lui avaient prévus – devenir un discret fonctionnaire mal-aimé – qu’on doit éclairer, sinon comprendre, l’absence choquante de la quasi-totalité de sa famille à son enterrement : mère, fils, frères et demi-frères. Ou lire aujourd’hui les déclarations de son père allant peu ou prou à l’encontre de l’une des bénéficiaires de son testament, son épouse Anissa Khel. Car c’est bien là, dans ce schisme troublant, que se trouvait l’essence même de l’homme Delarue. Ou, finalement, sa plus éclatante épitaphe, lui dont on a cherché la tombe d’abord au Père-Lachaise, puis finalement à Thiais. Soit la vérité profonde d’un homme qui, enfant, se sentit quantité négligeable et – est-ce un hasard? – passa une partie de sa vie à recueillir des témoignages de familles «dysfonctionnelles».
Enfant, Jean-Luc, de l’avis de tous, est sage, confié aux bons soins d’une nounou, ses parents débordés par leurs activités le croisant sans trop le regarder. D’un côté le père, Jean-Claude, universitaire auteur d’une thèse, animé de multiples ambitions, y compris présidentielles sous l’étiquette écologiste en 1981, toujours prêt à passer sur un plateau télévisé, plutôt autoritaire. D’un autre, une mère, Maryse Delarue, née Marie-Louise Samuel, fille et petite-fille de gérantes de pressing, pur produit de la méritocratie républicaine fascinée par les études. Mai-68 est passé par là et il lui faut sortir de la domination patriarcale. Jean-Luc est un petit garçon qui ne doit pas entraver son ascension.
Maryse laisse donc à sa mère, Renée, le soin des relations charnelles, des câlins et des petits mots doux qui font l’enfance, comme on lui déléguerait les basses besognes. Hélas, c’est là que résident tous les liens affectifs. Quand Maryse devient agrégée d’anglais, il est trop tard, Jean-Luc, lui, ne jure plus que par sa «mémée». Pourtant, chacun le dira plus tard, il est le double de sa mère. A la fois brillant, parfois distant, peut-être manipulateur par moment. Cérébral, toujours. Mais chez lui, où il n’est considéré que comme un personnage secondaire, aîné responsable de trois autres garçons dont deux issus de la famille recomposée de sa mère avec un ex-prêtre, Christian Rivoire, on se souvient essentiellement de sa courtoisie.
«Un jour, il devait avoir huit ans, il reprit le professeur ignare que j’étais en m’expliquant avec douceur qu’on disait Robert Desnos pour le poète en prononçant le S de la fin», confie son père, rencontré dans son appartement parisien. Jean-Luc, depuis le divorce de ses parents, lorsqu’il a sept ans, ne voit plus son papa qu’un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Ce dernier, qui enseigne alors à la faculté de Paris VII, comme son ex-femme, n’est pas plus que cette dernière du genre à s’étaler sur le pathos. Du nez cassé de ce fils qui, récemment, laissait entendre que cela venait d’une chute à laquelle on n’avait pas pris la peine de porter attention alors qu’il était bébé, Jean-Claude dit simplement, sans prendre l’ampleur de sa désinvolture: «Je ne lui ai jamais même donné de fessée. Il a pu tomber, je ne m’en souviens guère». Ouvertement, Delarue père livre aujourd’hui bataille pour, dit-il, «défendre les intérêts de son petit-fils Jean».
Il faudra deux heures de discussion pour lui faire admettre le cœur du problème: sa peine. Le sentiment que, si la vie de son fils lui a un peu échappé, sa mort, au moins, doit lui revenir. Caché derrière les arguties de son avocat, maître Christian Fremaux, sentencieux comme peuvent l’être les universitaires, et pourtant sympathique dans l’humilité de son deux-pièces du premier arrondissement parisien où il offre une tasse de café soluble, dans un désordre qu’il décrit lui-même comme celui d’un « vieux garçon », tentant de réajuster le couvre-lit d’un lit aux dimensions réduites, à priori moins de 140 centimètres, on essaye de l’amener à s’humaniser un brin dans son discours.
Click Here: Spain Football Shop
Avant de se retrouver rattrapée par la réalité du drame, en lisant les fameux SMS de relance qu’il envoyait à son fils dans les derniers temps, et sa signature, lancinante, «papa», comme pour tenter de ramener un fils à un lien qui n’avait plus rien d’évident. Et cela, presque par nature. Parce que, en fait, comment un universitaire studieux, embarrassé par ses émotions, et sachant à peine faire fonctionner son chauffage (nous resterons dans un froid glacial tout au long de l’entretien, faute de notice du radiateur), pouvait-il comprendre ou peut-être accepter le fils flamboyant en quête d’amour, brillant et impulsif qui ne jurait que par le cachemire et les œuvres d’art ? Avec fierté, le père de Jean-Luc tend des cartes postales de son petit-fils qui l’appelle «Grand-pa» et lui écrit «je t’em», évoque la mère de l’enfant, Elisabeth Bost, avec laquelle il est en liaison constante, ou son ex-femme, dont il répète à loisir qu’il est séparé depuis quarante ans au moins. Il faut dire que Maryse n’a pas l’air commode. Cette absente avec un grand A, refuse de parler. Depuis plusieurs années, elle était en froid avec son fils.
Pour son enterrement, elle n’a pas jugé bon de quitter Marseille où son second époux, Christian, qui fut directeur de Réservoir Prod à ses débuts, est actuellement au plus mal. Elle qui avait été un temps invasive dans les affaires de son fils au point qu’il était courant de dire que pour être embauché par Jean-Luc, il fallait d’abord plaire à sa mère, se sera accommodée de l’horreur de la situation. Pas Jean-Claude. Qu’il se console. Dans la lignée masculine des Delarue, un petit Jean, qui aura six ans le 21 octobre, est venu au monde. Et, croirait-on très fort au hasard, qu’on imaginerait difficilement, au regard des acquis de la psychanalyse, que son prénom soit une coïncidence. Jean-Luc Delarue avait peut-être choisi de répudier sa famille, il en aura quand même légué une à son fils. Au fond, l’espoir d’une vie familiale heureuse l’avait-il vraiment quitté?