#AlertePollution : décharges, pesticides, surpopulation… Faut-il s’inquiéter pour l’eau du bassin d’Arcachon ?
#AlertePollutionRivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?
Cliquez ici pour nous alerter !D’entrée de jeu, Patrick Ransinan déchire la carte postale. “Le bassin d’Arcachon, ce n’est pas le coin idyllique qu’on vous vend”, pose ce natif de la région. A la place, l’animateur du site Bassindarcachon.com, qui nous a alertés via notre enquête collaborative #AlertePollution, décrit un écosystème bouleversé par des habitants et des touristes toujours plus nombreux.Avant, en hiver, le bassin reprenait son souffle. Mais la volonté politique aujourd’hui, c’est toujours plus de monde, toujours plus de fric.Patrick Ransinanà franceinfoDans sa maison de bois de Lanton (Gironde), sur la rive orientale, Patrick Ransinan se souvient avec émotion des pêches à pied sur la “mer de Buch”, auxquelles il a consacré un petit guide pratique en 1996. Sur les photos de l’époque, on voit ses deux fils, épuisette et panier à la main, progresser dans une eau claire avec à l’arrière-plan, une vaste étendue verte de zostères, des plantes aquatiques. Aujourd’hui, ce végétal n’est plus qu’un lointain souvenir sur toute la partie est du bassin et la vase, libérée par cette disparition, teinte l’eau d’une couleur marron. “Tout est mort, c’est le désert”, confie, dépité, Patrick Ransinan. En trente ans, la superficie de ces herbes marines a en effet diminué de 84%, selon l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (PDF).
Patrick Ransinan attribue ces bouleversements à la pollution et aux lixiviats. Cet habitant de Lanton est persuadé que ces jus d’anciennes décharges, construites tout autour de la lagune, s’infiltrent jusqu’au bassin. Il n’est pas le seul à s’inquiéter. Plusieurs de nos lecteurs, via #AlertePollution, évoquent ainsi le Wharf de la Salie. Depuis 1974, ce long tuyau rejette directement dans l’Atlantique, après traitement, les eaux usées des habitants et des industries du bassin, notamment celles d’une usine de carton. “Mon fils surfe là-bas parce que c’est là qu’il y a des vagues. Ça ne pue pas tout le temps, mais il y a parfois la même odeur qu’à l’usine”, témoigne l’un d’eux. L’émissaire débouche dans l’océan à une dizaine de kilomètres au sud d’Arcachon, mais beaucoup redoutent que les marées ne ramènent ces effluents dans la lagune.D’autres dénoncent la désinvolture avec laquelle touristes et professionnels prennent soin de cette petite mer intérieure. Saisonnier sur le port d’Arcachon en 2014, Yann* nous écrit que l’atelier de bateaux dans lequel il travaillait rejetait ses eaux usées directement dans le bassin, sans traitement préalable malgré la toxicité des peintures utilisées. “J’en avais parlé au responsable, ça ne l’avait pas spécialement touché et cela en était resté là. Dans ce bassin soi-disant protégé, c’est un peu alarmant”, témoigne-t-il aujourd’hui.”Un cocktail de pollution”Car le bassin d’Arcachon, milieu semi-fermé, est particulièrement sensible. Plusieurs jours sont nécessaires pour renouveler les eaux du “cul du bassin”, la partie la plus éloignée de l’océan, et donc évacuer au large les potentiels polluants charriés par la Leyre, son principal affluent. “Ils stagnent chez nous”, résume Françoise Branger. La présidente de l’association Bassin d’Arcachon écologie égrène tous les ingrédients du “cocktail de pollution” qui menace selon elle la zone : déchets et rejets des habitants et des touristes toujours plus nombreux, nautisme, peinture des bateaux, pesticides, circulation automobile, médicaments et détergents non traités par les stations d’épuration… Des problèmes dénoncés en 2011 par le photographe local Stéphane Scotto, de l’association Les Sentinelles du Bassin, dans un documentaire sur ce “paradis menacé”.Françoise Branger compare même le bassin à un homme qui consommerait une bouteille de vodka par jour, fumerait un paquet de cigarettes et se nourrirait d’aliments gorgés de pesticides. Plongeur au sein de l’association Schaph pro, Jean-François Marailhac dresse lui aussi un tableau amer de l’évolution du plan d’eau, abîmé par “un libéralisme avide de croissance mortifère”.Aujourd’hui, le bassin se vide de sa faune et flore, victime d’un engouement artificiel, de la surpêche pour alimenter un tourisme toujours plus excessif, d’une pollution légale et non maîtrisée.Jean-François Marailhacà franceinfo
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ne fait pas du tout le même constat. “Le bassin est plutôt en bon état”, pose Gilles Trut, chercheur à la station d’Arcachon. Dans son dernier bulletin de surveillance, mis en ligne en juin 2018, l’institut public estime que l’eau du bassin présente “une bonne qualité microbiologique” et constate qu’aucun contaminant, métallique, chimique ou organique, ne “dépasse les seuils sanitaires ou environnementaux”. Aucune mortalité particulière de poissons ou d’animaux aquatiques n’a été constatée. Aucun risque pour la baignade.”Des indicateurs qui clignotent un peu”Des mesures rassurantes, mais à nuancer en fonction de “l’angle de vue que l’on prend”, concède Sabine Jeandenand, pourtant chargée, comme directrice générale des services du Syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon (Siba), de la promotion touristique de la lagune. Le Siba s’occupe également de l’assainissement et des problématiques liées à l’eau sur le bassin. Et si la partie bactériologique ne pose pas de problème, Sabine Jeandenand s’inquiète des micro-polluants (métaux, médicaments, filtres anti-UV).Chercheuse à l’université de Bordeaux et au CNRS, Hélène Budzinski évoque des “indicateurs qui clignotent un petit peu”. Ces clignotants ne sont ni les lixiviats, qui ne concernent selon elle qu’un ruisseau, ni les rejets du Wharf, jamais identifiés dans le bassin malgré des mesures, mais les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Derrière ce nom barbare se cachent des molécules toxiques produites principalement dans le bassin (PDF) par le chauffage au bois et la circulation automobile. L’une de ces molécules est un cancérogène certain pour l’homme, quand d’autres sont des cancérogènes probables ou possibles.
Au Cap Ferret et aux Jacquets, ces HAP ont été mesurés par l’Ifremer à des concentrations plus de deux fois supérieures à la médiane du littoral français. “Les projections sur les années futures pourraient nous amener à des teneurs problématiques”, explique Hélène Budzinski. Ces molécules sont d’ores et déjà soupçonnées de jouer un rôle dans le retard à la ponte observée chez les huîtres du bassin. “C’est une hypothèse”, indique Isabelle Auby, de l’Ifremer. Surtout, pour l’écologiste Françoise Branger, les HAP ont un impact sur la qualité de l’eau de baignade.Je vais dans l’eau et quand je sors, je suis glissante comme une truite, farcie d’hydrocarbures.Françoise Brangerà franceinfoLes pesticides sont un autre motif de préoccupation pour le bassin. Ils sont charriés depuis les terres agricoles par la Leyre, mais pas uniquement. Pour éviter que des coquillages ne colonisent la coque de leurs bateaux, de nombreux plaisanciers et professionnels utilisent des peintures antifouling, bourrées de biocides divers. “Les teneurs ne sont pas dramatiques, mais il y a un effet cocktail”, explique Hélène Budzinski. Le cuivre, qui remplace progressivement certaines molécules de synthèse sur les coques de bateau comme dans les vignobles bio du bordelais, est plus particulièrement scruté. A Comprian et aux Jacquets, des teneurs deux fois supérieures à la médiane du littoral français ont été constatées.”Notre eau est comme l’air que nous respirons”Cette pollution, couplée au réchauffement climatique, est soupçonnée de jouer un rôle dans la régression des zostères constatées par Patrick Ransinan. Les scientifiques disposent pour le moment d’un “faisceau de suspicion”, mais pas de preuve définitive sur ce sujet. “Le stress principal qui s’applique à cette plante, c’est le manque de lumière”, résume Isabelle Auby, chercheuse à l’Ifremer, pointant ensuite “les températures élevées” et “les contaminants chimiques”. Une étude récente (en anglais) a montré “un effet non-négligeable” des herbicides, notamment du cuivre, sur la croissance de ces plantes marines. “De là à dire que ce sont ces composés chimiques seuls, non. C’est multifactoriel. Le réchauffement de l’eau exacerbe les effets”, explique Patrice Gonzalez, chercheur à l’université de Bordeaux et co-auteur de l’étude.Et toute cette pollution risque bien d’empirer dans le bassin d’Arcachon. La majorité des personnes interrogées redoute que ce milieu fragile ne résiste pas à l’augmentation actuelle de la population. Entre 1968 et 2015, le bassin est passé de 69 086 à 148 886 habitants. Et 70 000 nouveaux habitants sont attendus d’ici 2030. “Plus on augmente la population, plus on risque de déséquilibrer le système”, estime Gilles Trut. Même le Siba, pourtant chargé de faire venir les touristes sur la lagune, ne voit pas d’un bon œil cette explosion démographique.Il va falloir inventer l’avenir. Ce que je vous dis sur la qualité, je ne pourrais pas vous le dire demain à cause de la densification de la population.Sabine Jeandenandà franceinfoDepuis le port de Gujan-Mestras, Thierry Lafon, président du Comité régional de la conchyliculture Arcachon-Aquitaine, décrit sobrement “un monde perfectible” et un tableau “un peu gris” même s’il le juge plus brillant qu’ailleurs. “Notre eau est comme l’air que nous respirons. Elle subit l’empreinte des activités anthropiques qui la bordent, rappelle l’ostréiculteur. Tout ce qui se passe à terre, inévitablement, à un moment, cela se répercute sur le milieu marin.”* Le prénom a été modifié.Click Here: new zealand rugby team jerseys