Les médecins bientôt rémunérés à la performance
Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2011, après 18 heures de négociations et des mois de réunions, les trois syndicats majoritaires des médecins libéraux et l’Assurance maladie sont parvenus à un accord qui “révolutionne“ le mode de paiement des praticiens en introduisant le paiement à la performance. Qualifié d’“avancée majeure pour les patients, la santé publique, l’accès aux soins, la revalorisation de la médecine de proximité et l’efficience du système de santé“ par le ministère de la Santé, la signature de la nouvelle convention médicale, applicable pour une durée de 5 ans, semble satisfaire d’une part les représentants des professionnels de santé, qui voient là une revalorisation de leur pratique, et d’autre part l’Assurance maladie et le gouvernement, qui espèrent réduire le “trou de la Sécu“.
“On ne va pas dire que je suis euphorique mais tout cela va dans le bon sens“, a nuancé auprès de Doctissimo le Dr Michel Chassang, président de la confédération des syndicats médicaux français (CSMF), l’un des trois syndicats signataires. S’agissant du paiement à la performance, qui constitue le point d’orgue du nouvel accord, le médecin n’hésite pas à parler de “révolution“.Des primes pour les médecins “vertueux“Concrètement, d’ici 2 mois environ selon le Dr Claude Leicher, président de MG France, les médecins libéraux ne seront plus seulement rémunérés à l’acte, sur la base du nombre de patients qu’ils reçoivent, mais ils pourront également se voir octroyer une prime s’ils atteignent une série d’objectifs de santé publique fixés par l’Assurance maladie. “On était dans un système de rémunération basé sur la quantité, on introduit un élément de qualité“, salue le Dr Leicher. Pour ce dernier, “le travail d’expertise et de ‘matière grise’ des médecins n’était jusqu’à présent pas assez valorisé“ ; ce nouveau mode de rémunération constitue donc un moyen de “récompenser les médecins qui font des efforts ou de reconnaître le travail de ceux qui pratiquaient déjà une médecine conforme aux recommandations“. Balayée la crainte pourtant maintes fois exprimée des médecins libéraux de voir leur exercice passer sous la tutelle de l’Assurance maladie. Balayée également celle d’une vision davantage comptable de la médecine au détriment du patient. “Les indicateurs ne sont pas des indicateurs comptables mais des indicateurs de qualité des soins, purement médicaux“, affirme le Dr Chassang, convaincu que “c’est par la valorisation et la récompense“ que l’on peut tirer la médecine vers le haut. 26 objectifs, une prime jusqu’à 9 100 Les indicateurs donc. Il s’agit de 26 objectifs, divisés en deux volets, qui s’ils sont atteints, permettront d’obtenir un certain nombre de points. Au total, pour une patientèle moyenne de 800 personnes, un médecin pourra ainsi obtenir jusqu’à 9 100 par an. Les objectifs sont : – d’une part, ceux liés à l’organisation du cabinet et la qualité de service. Ils concernent l’ensemble des médecins libéraux. Il s’agit, notamment, de les encourager à informatiser leur cabinet, pas seulement par l’installation d’un ordinateur mais par l’équipement de logiciels d’aide à la prescription ou au suivi par exemple. – d’autre part, ceux liés à la qualité de la pratique médicale. Ces objectifs ne concernent pour le moment que les médecins traitants, pour la grande majorité des médecins généralistes, mais ils devraient s’étendre par la suite à l’ensemble des médecins libéraux. Incitation à la mammographie pour le
dépistage du cancer sein,
moindre prescription d’antibiotiques, préférence pour les
génériques… Autant de bonnes pratiques depuis longtemps prônées par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie, qui seront récompensées lorsqu’elles seront appliquées.
Dans ce système, le patient sera également un partenaire actif, en respectant les consignes de son médecin. Mais alors que se passera-t-il en cas de désaccord ? Le médecin ne sera-t-il pas en situation de conflit d’intérêt, coincé entre un patient récalcitrant et l’envie d’obtenir sa prime de “médecin vertueux“ ? “Le risque de tension entre le médecin traitant et un patient récalcitrant nous paraît théorique“, balaye le Dr Leicher. Aucun des objectifs n’est à 100 %, ajoute-t-il, une disposition qui permet d’éviter d’aboutir à de tels rapports, selon le président de MG France. Pour le Dr Chassang, “les indicateurs retenus ne sont pas en opposition avec le patient“ et il en va donc autant de l’intérêt du patient que de son médecin que ce dernier vise à les atteindre. “À un moment donné, il faut que les médecins s’intéressent aux résultats de leur pratique“, conclut le Dr Leicher, critiquant le conservatisme à la française et citant en exemple l’Angleterre “où les résultats sanitaires sont meilleurs que les nôtres, avec notamment une baisse de la mortalité par
cancer du poumon et une bien moindre
mortalité des femmes lors de l’accouchement“.Désertification médicale : inciter plutôt que sanctionnerParmi les autres mesures de la convention, celles visant à régler le problème de la désertification médicale étaient très attendues. Finalement, reconnaît le Dr Leicher, il s’agit ni plus ni moins d’un “copié-collé de la convention 2005“, qui privilégiait des incitations financières pour l’installation et l’activité dans les zones déficitaires. Mesures qui s’étaient finalement avérées peu efficaces. Alors que la première mouture de la nouvelle convention prévoyait au contraire des mesures-sanctions, celles-ci ont été remplacées par de nouvelles mesures incitatives telles que l’aide à l’investissement (5 000 ) et des aides à l’activité (jusqu’à 20 000 ) pour les médecins acceptant d’exercer dans les zones où le manque de praticiens est cruel. De même, les médecins travaillant dans des zones excédentaires et acceptant de prêter main forte à leurs confrères des zones déficitaires verront leur rémunération majorée. Et pour le président de MG France, il s’agit de la plus importante “imperfection du texte“. Dernier aspect majeur de la convention, la création de consultations nouvelles, une manière de revaloriser des actes mal rémunérés au regard de leur difficulté ou du temps qu’ils nécessitent, selon les médecins. Citons ainsi la consultation pédiatrique à la sortie de maternité, la consultation en urgence en psychiatrie, la consultation familiale en psychiatrie (pour les moins de 16 ans), l’intervention dans les Ehpad, les visites au domicile de patients
Alzheimer, le dépistage du
mélanome par le dermatologue, le dépistage du
cancer du col de l’utérus par le gynécologue et le médecin généraliste et enfin le
suivi du diabète de type 1 par l’endocrinologue. Le secteur optionnel en suspensEn revanche, syndicats professionnels, Assurance maladie et complémentaires santé ne sont pas parvenus à un accord concernant la création d’un secteur optionnel, qui permettraient aux médecins exerçant dans les blocs (chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes) d’avoir des dépassements d’honoraires de 50 % sous réserve qu’ils réalisent au moins 30 % d’actes sans dépassement. Pour ne pas peser sur les comptes de l’Assurance maladie, ce sont les complémentaires santé qui prendraient en charge la différence. Et in fine, les patients ayant une assurance privée qui mettraient la main à la poche.
Une mesure que dénonce l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, arguant que “cette prise en charge par les complémentaires santé ferait exploser les cotisations des assurés “sous l’effet de l’augmentation du prix moyen des actes concernés“. Les participants aux discussions ont convenu de reprendre à la rentrée leurs travaux pour parvenir un accord.Sur ce point, Vincent Perrot, représentant de l’association de protection des consommateurs “Consommation Logement Cadre de Vie“ (CLCV), parle d’une “bénédiction des pouvoirs publics pour le dépassement des honoraires“ et s’attend également à une hausse des prix des mutuelles. Plus globalement, il salue toutefois la nouvelle convention qui, d’après lui, va dans le sens d’une amélioration de la prévention sanitaire. Si les choses semblent assez consensuelles, certains cependant font part de leur déception. “Une minute de silence pour la mort de la médecine de ville intelligente signée cette nuit“, pouvait-on ainsi lire sur le fil Twitter d’un médecin d’Angers. Pour ce praticien interrogé par Doctissimo, “en donnant des alibis de bonne médecine, on fait de la médecine comptable par en-dessous“. Craignant que “les mauvais élèves soient pointés du doigt sur des critères économiques douteux et non sur des critères de bon travail“, il n’hésite pas à dénoncer “une dérive non dite pour aller vers un conventionnement individuel“.Mais il faut croire que l’Assurance maladie aura trouvé les arguments pour convaincre les médecins libéraux que leur liberté de prescription ne sera pas entravée et que leur pratique médicale oeuvrera pour le bien de la santé publique. Il aura néanmoins fallu une carotte pour les amener à voir les choses ainsi. Et l’on peut se demander ce qui, jusqu’à présent, les empêchait d’appliquer les bonnes pratiques édictées de l’Assurance maladie comme la télétransmission des feuilles de soins, la prescription de génériques ou encore l’incitation au dépistage du cancer du sein. Amélie PelletierSourcesInterview du Dr Michel Chassang, président de la CSMF, vendredi 22 juillet 2011.Interview du Dr Claude Leicher, président de MG France, jeudi 21 juillet 2011.Interview du Dr Dominique Loubet, médecin généraliste à Angers, jeudi 21 juillet 2011.Click Here: Golf special